Liste des récits - Voyageurs venus d'ailleurs
Henry James à Nîmes
Récit lié : Voyageurs venus d'ailleurs
Malgré ses succès James aura pendant longtemps des soucis d’argent ;ce qui l’amènera à s’engager entre autres à écrire des articles pour une revue culturelle américaine « Atlantic Monthly ». Le récit de son voyage en France paraitra en 1883-1884 sous le titre « En Province » -une série de 5 articles- puis sera publié en volume fin 1884 chez un éditeur de Boston sous le titre « A little tour in France ». Ce petit livre fit office pendant longtemps de guide touristique pour les américains voyageant dans le sud de la France.
Après cela, il ne me restait plus qu’à me rendre à Nîmes, et je le fis, accordant à l’endroit toute l’attention qu’il semblait mériter. Au risque de laisser croire que je me laisse souvent aller au désenchantement, je dirai que le lieu demande bien moins que ce que je m’apprêtais à lui donner. C’est une ville qui offre deux ou trois centres d’intérêt mais qui souffre de l’absence d’un trait fort commun. De façon générale Nimes est pauvre, ses seules richesses étant faites de vestiges romains, au demeurant de premier ordre. Les dernières modes françaises font régner leur ordre dans la plupart des rues, les maisons les plus anciennes sont misérables et les plus beaux immeubles sont récents. A coté de mon hôtel s’élevait une grosse église pimpante qui donnait l’impression curieuse d’avoir été conçue pour Brooklin ou Cleveland.
Il est vrai que cette église donnait sur une place tout à fait française, aux dispositions modernes, flanquée d’un côté par un palais de justice orné de trois arbres et de quelques murailles, tandis qu’au centre se dressait un groupe de statues allégoriques que l’on ne trouve que dans les villes françaises, une œuvre de Pradier, représentant Nimes. Une ville anglaise ou américaine qui aurait voulu se parer d’un tel monument l’aurait disposé en un lieu qui soit à la mesure de sa prétention….
Quoi de plus remarquable que les thermes romains au pied du mont Cavalier et le délicieux jardin ancien qui les enserrent ?.... Parmi les ruines des thermes et des temples, à l’endroit précis où l’aqueduc qui traverse le Gardon de façon merveilleuse se déverse, il me semblait voir surgir le tableau, aux contours indistincts, d’un paganisme splendide. Des thermes romains, des thermes romains ! Ces seuls mots suffisaient à enflammer l’imagination. Tout avait changé, je flânais dans un jardin français ; la pente boise ) du mont Cavalier(une modeste colline), qui domine l’endroit , est couronnée par une tour sans forme qui pourrait aussi bien être d’époque médiévale que remonter à l’antiquité. Et pourtant appuyé sur le parapet de l’une des fontaines, où une volée de marches incurvées (les français disent un hémicycle) descendait dans un bassin aux recoins obscurs et frais qui laissait voir à travers l’eau verte et limpide les fondations romaines, je m’abandonnais à la contemplation et à la rêverie, et il me sembla un instant que je me retrouvais plongé dans le passé. De tels instants sont de véritables illuminations et leur éclat brille toujours, dans ma mémoire, confondu à jamais avec l’obscurité verte du jardin de la Fontaine…..
Je fis l’ascension du mont Cavalier, cela ne prend que quelques minutes, et après avoir accompli ce geste sans gloire, j’en entrepris un autre, escalader la tour Magne, la construction sans âme que j’évoquais tout à l’heure. Le seul intérêt de ce tube sans âge, si l’on oublie l’inévitable collection de photographies que vous propose le gardien, est le point de vue dont on jouit à son sommet. La perspective offerte est bien entendu très belle mais, à ma grande honte je dois reconnaître que je n’en ai gardé aucun souvenir…..
Voyage en France
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