Ville de Lamia à 9h du matin, 14°C. De là-haut, le regard surplombe un cimetière ponctué de végétation méditerranéenne. La cime des pins et des cyprès est bien éclairée. En plissant les yeux, elle devine ici un arbre de Judée, là un figuier. De son promontoire elle associe, entre le ciel et les ramures, des figures de serpents et feuillages enchevêtrés en se remémorant qu'au lycée, le professeur de littérature leur avait fait étudier des poèmes de John Keats et d’Edgar Allan Poe, influencés par Lamia, la fille néfaste de Poséidon.
Un peu de vent en provenance de la montagne lui rappelle le trajet depuis Sofia et la faim qui tenaille.
— Tu as mangé ?
Elle ne l’a pas entendue s’approcher, petite et courbée – vieille – qui lui tend un paquet de biscuits.
— Tu regardes les grues ? Elles défoncent tout, les petits jardins, les tomates, les aubergines.
— Non, je regarde à gauche, les arbres, ils ont l’air un peu secs et vulnérables auprès des morts.
— Regarde bien, il y a des branches mortes, des feuilles rabougries, comme brûlées ou contaminées, même le ciel n’y pourra rien.
Elle tourne les yeux vers la femme, elle lui trouve du cran avec ses grosses chaussettes et son tablier noir ; sa tête couronnée d’une tresse blanche ; ses doigts tordus qui grappillent des miettes. Ses gâteaux sont délicieux.
— Tu y as mis du citron ?
— Comme la lumière et la vie, goût fort et acide.
Un chien noir les as rejointes, au loin un homme d’une cinquantaine d’années attend en fumant une cigarette. Ils disparaissent tous trois.
Elle s'assied sur l'herbe rase et recopie dans son carnet « Œil de lynx et vue perçante pour ce qui est loin, myope pour ce qui est proche ; telles sont, raconte-t-on, les yeux des Lamies : chez elles, elles ne voient pas les objets dans lesquels elles se cognent, à l’extérieur il n’y a rien d’assez dissimulé pour échapper à leur regard » Opera omnia, Érasme, édition posthume 1703-1706.