Vers Marseille
Ici, là-bas, ailleurs, qu'importe, elle avait roulé, se faisant mentalement des promesses intenables. Tout plaquer, non ? Non ! Durant les deux jours suivants, elle fut calme comme une femme tangible.
Que faire de l’attente ? Se souvenir d’autres attentes. Ils avaient vingt ans, les véhicules se faisaient rares. Il s’agissait d’épuiser le lieu, d’épuiser le lien qui les unissait l’un à l’autre, d’épuiser l’ennui. D’abord avec colère, puis résignation et enfin délice.
La voici coincée derrière les vitres dégoulinant d'une pluie violente et ininterrompue. La chambre qu'elle a louée pour le week-end est minuscule, mais sur une étagère elle déniche que les sureaux se tiquetaient de grains noirs, les sorbiers de grains vermillon, les buissons ardents de grains de terre-de-Sienne brûlée dans un roman de Joris-Karl Huysmans. Elle s’affaisse sous la couette, sous le poids de l’éternité, sous l’orage, elle devient un arbre. Les arbres sont vieux, ils se souviennent, on ferait bien d’en prendre de la graine. Entre veille et sommeil, elle se met à courir dans les champs, suivre les rails sans savoir où ils la mènent et survoler la Méditerranée.
Un jour, ce sont aussi des trombes d’eau qui l’avaient empêchée de rejoindre son ami à Marseille. Elle avait pesté. Elle se souvient avoir alors noté
le mistral faisait se casser les verres du restaurant
les gens se réchauffaient face à la gare
les conversations étaient sans queue ni tête
les serveurs ne chuchotaient pas ce jour-là
Elle se relève, savoure là où elle se tient, supprime des messages sur son téléphone, lit des chroniques américaines, regarde la lune rousse (il paraît qu'on ne dort pas bien ce jour-là) et ressasse l'irréel message d'Athènes à son père – avec qui elle aime habiter et partager le dîner, parfois un film et le marché dominical place des Jacobins. La police grecque prétend avoir retrouvé un portefeuille avec une photo lui étant adressée. Demain elle calquera son regard sur celui d’Ulysse – sans préjugé, sans certitude non plus.