L’acrostiche des lisières
Texte écrit en octobre 2023 à la Grange des Vachers (Haute-Loire) lors de l'atelier "Lisières" animé par mon amie Babeth Cultien, de l'association Terre de Lecteurs
« Se souvenir de cette grâce sensuelle, cette osmose, qui nous menait à la lisière l’un de l’autre dans un tourbillon d’amour flou »
Longer les bords du monde. Certains jours,
Insulaire. Des plages, des côtes, des falaises… pour revenir des
Steppes arides, situées juste au rebord de soi, il faudra avancer plus loin que les lignes de cette
Ile étrange
Espace intermédiaire d’où surgissent les
Rêves, tels vagabonds sur leur chemin d’
Errance, enfouis dans le
Silence.
Quand c’est arrivé, j’allais avoir 33 ans. Je suis restée figée juste au rebord. Une pétrification des émotions. Une désertification des sentiments. Les événements me traversaient, les conversations me frôlaient mais rien n’entrait vraiment.
Dans cet espace intermédiaire, mon âme allait souvent zoner aux lisères des terres de l’outre-monde, où je le rencontrais sur cette frange instable située à la frontière incertaine entre la foi et la folie. Rencontres fugitives, corps à corps improvisés sur les pourtours de l’aube. De ces explorations entre Eros et Thanatos, je ramenais un mot, un geste, la texture d’une peau, une fragrance fugitive.
En quête de sa présence au-delà du tombeau, je suis devenue psychopompe. Je sais désormais la traversée possible mais ne m’aventure plus en territoire obscur.
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Au soir tombant, j’ai rassemblé mes malles à souvenirs. Enfouies à la racine de mon imaginaire, j’ai extirpé du grenier de l’enfance, forêts lugubres et bois dormants, petits cailloux et miettes de pain, ogres et lutins, fées et sorcières. Une nuit de monstres peuplée de rires innocents. Miroir miroir. Rien désormais ne pourrait m’empêcher de passer au travers. Traces de soi dans l’éclat du cristal, goutte de rosée sur l’épine d’une rose, une larme posée sur le rebord des cils, un mirage arc en ciel.
C’est à ce moment précis que, du fond de ses pupilles, la Cabane a surgi. Juchée entre le ciel et la terre, comme déposée en suspension sur un nuage. Une cabane sans fondation ni frondaison, aux perspectives étranges, aux murs tout de guingois.
A la lisère de l’outre-monde, j’aurais pu écrire les révélations et les métamorphoses mais je n’aurai pas le temps. Je connais l’urgence d’aller à l’essence du ciel. Monter, une à une, les marches tremblantes du temps révolu. Gravir cet escalier oscillant dans le vide. Se souvenir que le vertige est une illusion. Tout en haut, rien ne bouge.
Doucement, mes yeux se sont fermés. Au loin, dans la forêt, la lumière a cligné en guise de bienvenue.
O âme envolée, la voici ta cabane, ton refuge millénaire… D’ici, les jours de grande clarté, tu entendras le grelot des anges. Chaque matin, au travers des persiennes, tu observeras les rites de passage. A hauteur d’entre-ciel, tu contempleras les lignes de fuite, les échappées belles. Ouvre donc ! Toutes les fenêtres sont au bord de toi-même. Chacun trouve sa place à l’horizon du ciel. Ouvre et entre en ton Royaume.
Motifs et trames. Pour coudre ton récit de fil Rouge, il suffira d’un tissu de mensonges et de taillades de vérités. Surfiler défiler défier la logique. Le sang a coulé bleu dans la nuit de V(G)arenne.
Longer les lisières
Tout en brodant ses rêves
A grandes aiguillées
Évoquer Invoquer
Oser s’aventurer vers ses cabanes intimes
Dérouler des mots sur des rêves furtifs
Ouvrir des perspectives
Partager Écouter
Vibrer à l’unisson
Marcher vers l’horizon
S’ancrer sur les lisières
S’émerveiller
Désagréable impression de vivre à la lisière, sur la crête, au bord de la falaise. Pour lutter contre ce vertige envahissant, s'accrocher aux mots qui surgissent en désordre, leurs rencontres subtiles. Refuser de se perdre en cette forêt profonde. Faire front. Faire face. Affronter les monstres. Épuiser les colères. Dépolluer l’horizon et les bordures de soi. Aller son chemin vers cette nouvelle étape, en confiance en conscience. Brandir la Joie en étendard à la morosité ambiante. Se libérer du désert qui avance. S’émanciper de toute dépendance.
Que de chemin parcouru (à parcourir) entre les nuits de monstres et les échappées belles !
Quel texte !