Regards croisés

ou le plaisir de la controverse

Les Escrivades

Carte parente : Où mènent les mots ?

Récit lié : Auvergne

En 2024, Les Escrivades, ce sont "10 journées d’ateliers d’écriture avec des invité-e-s venant d’horizons divers. Autrices et auteurs, universitaires, poètes et autres, toutes et tous vous emmèneront sur leurs chemins d’écriture, alimentés par leurs propres disciplines et univers.
Ces ateliers s’adressent à tout le monde. Il suffit d’avoir envie d’écrire pour participer. Et si vous écrivez déjà, Les Escrivades sont l’occasion de nourrir votre écriture de nouvelles idées."

Ça donne envie, non ? J'y suis allée - 3 jours - et je n'ai pas été déçue ! Je dirai même que j'ai été emballée !

Kris, qui a participé (seulement) à deux journées confirme : un atelier très emballant, sans parler de la convivialité au rendez-vous des repas de midi ! Un petit supplément de vacances en cet avant-dernier week-end d'août. 

Première journée avec Sébastien Firpi (psychanalyste, animateur de revue) sur le thème "Récit et enfermement".

J'ai écrit deux lettres. C'est bien moi, Aline, qui écris même si je signe d'un pseudonyme masculin !

Bonjour Claire, 

Je ne comprends pas ce qui m’arrive. Je ne sais pas où je suis. Je ne sais pas quel jour on est. Je ne sais pas comment je suis arrivé là. Tout ce que je peux te dire…
Tout ce que je peux te dire tient en quelques mots. Ici tout est blanc, les murs, le plafond, le sol. Tout est blanc. Je suis enfermé dans une pièce peinte en blanc, du sol au plafond. Il n’y a ni porte, ni fenêtre. D’où vient la lumière, je ne sais pas non plus. Tout est uniformément clair. Pas de lumière, pas d’ombre. Pas d’odeur non plus. Je suis seul. Aucun bruit. Je crie et je ne m’entends pas. Personne ne m’entend. Enfin, je crois, sinon...
Je tâte le mur à mains nues. Aucune aspérité. Les murs sont lisses, totalement lisses. Pas de passage secret vers l’ailleurs. J’espérais…

Claire, je t’écris pour que…
Je t’écris pour me raccrocher à ce que je sais faire, à ce que je fais habituellement, à ce qui a fait ma vie, à ce qui me fait encore sentir vivant.
Claire, dis-moi, dis-moi…
Je t’en prie. 

Yves

Claire, 

Tu me demandes comment je vais. Mieux, sans doute. Il est 8h. L’infirmière est déjà passée. Elle a regardé l’écran des machines. Je l’ai saluée d’un regard qu’elle ne m’a pas rendu. Je la maudis tout comme le kiné qui arrête les massages dès que le chirurgien sort de la chambre.
Oui, le chirurgien est passé le soir de l’opération, c’est lui qui me l’a dit hier. Oui, il est repassé hier. Il avait sans doute peur que je claque entre ses doigts. Il devrait pourtant avoir l’habitude : il a dû en tuer bien d’autres avant moi.
Sais-tu qu’une aide-soignante m’a apporté lundi un plateau-repas, moi qui ne suis nourri que par sonde ! Encore un bug de l’ordinateur, tu peux être sûre.
J’enrage du matin au soir et du soir au matin. Je voudrais crier, hurler, les agonir d’injures, tous, tant qu’ils sont. Pour le moment, ça m’est impossible. 

Il me reste une main, une main qui obéit à peu près à mes ordres. Je t’écris. La plupart du temps, je frappe. Je frappe les montants du lit-cage. Ça les énerve, ça m’amuse. Ce rien m’amuse. J’ai toujours été joueur. Je n’aime pas perdre. Mais maintenant que me reste-t-il à perdre ? La vie, bien sûr. Je crois que je n’en suis pas encore là. J’ai trop de comptes à régler. Avant cet AVC, je ne le savais pas, j’étais naïf, je faisais confiance. C’est fini. Je renais dans la haine.

Adieu Claire. Pas besoin de venir me voir. 

Yves

 

Deuxième journée avec Jean-Paul Garagnon (animateur d'ateliers d'écriture) sur le thème "Les grands espaces"

Je vous propose un texte parmi ceux que j'ai écrits.

Bloquée. Congères. Murs de neige.
Elle sort de la voiture.
Hurlement des loups… Euh, non, du vent.
Effets stroboscopiques de la lumière.
Eclairs éblouissants du givre, du verglas.
La tombée de la nuit bientôt, le brouillard déjà, effacent les reliefs. Aucun signe de vie à l’horizon.
Elle a froid, très froid. Elle fait quelques pas. Elle glisse. Elle chute. Elle remonte dans la voiture. Elle ouvre la radio : l’ouverture des 100ème jeux olympiques d’hiver et les chances de médailles françaises la laissent de marbre, elle écoute cependant plusieurs minutes les chroniqueurs sportifs. Spot publicitaire, insupportable comme toujours. Elle éteint la radio.
Le vent s’est calmé. Elle écoute le silence.
Infiltrés l’un après l’autre dans les serrures, les premiers flocons se sont serrés, collés les uns contre les autres, bloquant ainsi les serrures.
Les flocons suivants ont bombardé les vitres à l’avant, à l’arrière, sur les côtés, plongeant progressivement la femme dans l’obscurité la plus totale.
Le gros des troupes est arrivé ensuite. Sans stratégie particulière, sans effort apparent, des millions de flocons ont transformé une voiture en boule de neige.
Une grosse, grosse boule de neige au milieu de la route. Habitée. Habitée par une survivante. Bloquée.

Aline

 

Pour cette échappée belle dans les grands espaces, c’est une escapade en Grèce qu’a imaginée Kris. En voici un extrait :

Les collines se pressent les unes contre les autres. A perte de vue, s’étend une plantation d’oiiviers. Parcourus de frissons, ils semblent sautiller sous la brise, telle une mer aux vaguelettes d’argent qui aurait choisi le vert tendre pour couleur. Il songe à son enfance bourguignonne et à la tendresse de l’herbe verte.

 

Troisième journée avec Simone Molina (poète, psychanalyste) sur le thème « L’autre côté de l’ombre »

Je vous propose deux textes parmi ceux que j'ai écrits :

Le premier tente d'exprimer ce qu'est, pour moi, un poème...

Ton ombre dans l’échancrure d’une fenêtre
ton ombre m’accompagne. 

Que vienne le jour
où je te reconnaîtrai.

Aline

 

Le second, c'est... le second !

Le labyrinthe transporte leurs ombres, celle de Louis le Rouge, celle de ta grand-mère, Audrey, celles de tous les révolutionnaires espagnols morts sous la torture, celle de la cohorte de pèlerins du bout du monde, sans oublier celle de l’oiseau. 

Toutes les ombres se fondent dans l’ombre originelle. La nuit métallique des temps géologiques n’est pas encore sortie des limbes. Des corps morcelés hantent le chemin qui les réunifiera dans le mystère des rouages de l’ombre et de la lumière. 

Lumière diffractée en mille éclats. Mille éclats de vie. Ombres tapies.

Aline

 

Et voici un tout autre écrit par Kris, inspirée par cette thématique autour l'ombre. Il faut dire qu'il faisait chaud et que l'inspiration du lieu (et des propositions) était tout à fait poétique.

Tresser des fils d’ombre et de lumière

A Antonin Artaud, Gérard de Nerval et Eugène Guillevic

Aux temps géologiques, la lumière n’est pas… pas encore. Bien avant son irruption règne  l’ombre originelle, une éclipse totale qui dure des millénaires. Dans la nuit métallique d’un monde encore minéral, des jets de lave en fusion qui, tels des phares dans la nuit, surgissent des cratères, explosent dans l’espace, vide de tout repère. Des éclats vifs issus des profondeurs, infusés par le Feu terrestre. Granit, basalte.  Or, argent, émeraude, améthyste.

Aux pôles subsiste encore cette sensation primordiale du Mystère diurne. Moment de grâce, émerveillement des aurores boréales. Après le sombre, la Vie proclame ses droits. Que la Lumière soit…

Ça me transporte à une époque lointaine où je vivais comme par inadvertance, telle une funambule à califourchon sur les ombres, le dos posé contre les pierres tombales, en un rictus de l’âme, grosse d’elle-même, mais encore stérile. Je tendais l’oreille vers le ciel : rien. Hormis la silencieuse machine des astres.

En ces temps obscurs, mon ombre était portée par la lune plus que par le soleil. Il était plus souvent minuit que midi. Parfois, certains rites étranges, tranchants découpaient mes parts d’ombre en d’étranges soleils qui, tels les dits des poètes maudits, illuminaient mes nuits – O soleil noir de la mélancolie, O ombilic des limbes. En quête du grand rassemblement, j’observais. Irruptions de spirales sur l’axe vertical, intuitions fugaces.

Jusqu’à cet arc-en-ciel, jailli au travers des branches du grand chêne, composition exquise dans le miroir sans tain de mes larmes. Ce fut le jour de la sortie du rêve, l’avènement de l’aube après la longue nuit blanche. Sourires vert tendre et bleu intempestif – les couleurs du ciel reflétés dans la mer. Lumière, reflet divin. Le cœur comme habitacle d’une Joie toute nouvelle, déténébrée.

Pour que le poème s’écrive, il s’agirait peut-être d’ajuster ces parts d’ombres à celles de lumière. Assembler quelques notes vibrantes, à peine audibles, déployées entre les vides et les trop pleins de l’existence. Des piqûres de lumière en touches imperceptibles, correspondances infimes tel un murmure jailli entre les silences. Un poème circulaire dont l’écorce affleure, à peine, du tronc creux du langage. Quelque chose comme le négatif du Verbe, qui se serait risqué sur les marges des territoires obscurs.

Hostie. Moment majuscule des dimanches anciens. Bouche et cœur béants, attendre… entre l’ombre des mondes souterrains et le Royaume de la lumière, s’arrimer au monde. Se satisfaire du Nombre. Apprivoiser l’évidence de la mort. Pousser une porte au creux de soi. Fulgurance : bien sûr que le silence parle !

Kris

 

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