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Topologie du surgi et de l'effacé

Chronique cartographiée en territoires figurés et poétiques

La rivière

Ailleurs, des rivières

 

Nous sommes immortels, chante le chauffeur qui ne connaît aucune autre chanson de Bashung, lui dit-il. Il brode le monde. Il franchit les ponts. Elle, est attentive aux sons, aux senteurs et aux variations lumineuses. Cette balade ne me fait ni perdre ni gagner ‒ depuis qu’elle a franchi la frontière française, elle pense tout haut.

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Elle plonge la tête dans la ποτάμι (potami), rivière proche de Tempi, la prochaine halte. On lui a expliqué qu’en réalité, c’est le fleuve Pénée, qui traverse aussi les Météores. Cet endroit lui semble familier. Oui, ce sont bien les mêmes berges et le même courant, le pont avec l’odeur du temps. Les rives sont escarpées, elle n’est pas habile. Aujourd'hui, des jambes velues ou lisses d’adolescents l’encerclent en riant, elle aimerait faire durer cet instant léger. Protégée de la réalité, admise dans le cercle. Violemment elle reprend son souffle, incline la tête vers l’azur. Le bus est toujours là tandis qu’elle fait la planche, emplie de reconnaissance envers elle ne sait quoi : Dieu ? Non. Ses parents, alors ? Elle s’allonge interminablement près des autres qui se cherchent, se heurtent, se chevauchent, s’empoignent, se fouillent, se lèchent et rugissent de leurs humeurs. Sa chair ce jour-là, à vif, comme des mots non expulsés aux teintes anthracite et bleue qui claquent contre les falaises.

Nous y nagions autrefois. Tu es là, devant moi et te retournes sans me sourire. Je poursuis mes mouvements pendant que tu sors de l’eau sans me tendre la main. Tu n’as pas tellement changé, nul embonpoint, assez peu ridé, tes cernes se sont creusées, encore plus foncées. Tu sors une cigarette et m’adresses la parole. Ta voix me parvient de loin comme un écho à mes pensées.

— Tu n’as pas tenu tes promesses, tu ne m’as pas rejoint sur le quai.

Je ne réponds pas. Je t’examine, un peu éberluée. Je t’entends à nouveau.

— Et l’enfant ? Qu’est devenu l’enfant ?

— Il n’y a pas eu d’enfant. L’enfant n’a pas eu sa place. J’ai cessé de m’alimenter, alitée, affaiblie. Le sang a coulé, quelques secondes, quelques minutes ou des jours… j’ai oublié. Sans douleur, l’émotion anéantie, toute entière retournée en moi. Te niant et notre histoire avec. Cet enfant a perdu tout contour. Il n’ y a pas eu d’enfant. Pas de toi.

Elle entend son prénom répété — Sandra. Tous, ils reprennent la route, le sourire aux lèvres.

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