L’écritoire qu’on ne voyait pas

Josiane Faita-Hugues

L’écritoire qu’on ne voyait pas

L’écritoire qu’on ne voyait pas

Josiane Faita-Hugues
28 avril 2022
L'écriture est au bout du chemin!

Pour découvrir cette ville, pas de guide touristique, d'appareil photo ni de camera. Tout repose sur toi. Ton envie de percer des secrets, des lieux, des monuments, des jardins, des églises mais aussi des secrets qui dorment au fond de toi, ceux qui se cachent en silence mais qui ne demandent qu'à affleurer vers ta conscience.
Philippe Berthaut, le poète, te fait un cadeau. Il te propose de faire de la visite de Villeneuve-les-Avignon une expérience originale, une ville écritoire.
Tu rentreras dans l'intimité des lieux grâce à l'écriture, en prenant ton temps, tel un adepte des voyages lents. En suivant un sentier qui part de la colline des Mourgues, qui passe par la Collégiale et la place Jean Jaurès, tu arriveras au Jardin de l'Abbaye et au Fort Saint André qui surplombe la Chartreuse d'un côté et le petit bois de Pins de l'autre. Tu es le maitre de ton temps et de tes émotions, si tu veux tu peux nous les donner en partage!

 

 

 

Voir et écrire sans être vu

On ira pas plus loin me dit Aline, je suis éreintée. Nous sommes sur la première terrasse du jardin de l'Abbaye. Une vue exceptionnelle sur la grande sœur au delà du fleuve et sur l'alignement des arbres qui longent ce géant et le masque à nos regards. Au lointain, les Alpilles, les monts du Vaucluse, le Lubéron et un autre géant qui sort de la brume, le Mont Ventoux.

Un banc de pierre au pied d'un pin à pignon, couché par le vent du nord dominant nous offre une ombre salutaire. Il fait chaud encore en ce mois d'octobre. Les branches basses du pin nous isolent du monde. On va écrire là, en secret, en silence, une page personnelle pour garder une trace de la paix qui nous habite. C'est un moment unique. Les promeneurs qui longent la terrasse ne nous voient pas, nous, au comble de l'indiscrétion nous happons des bribes de discutions, nous entrons dans leur intimité par effraction. Même pas honte!

Nos textes écrits en secret :

 

Aline : Les promeneurs au bord de la terrasse

Les promeneurs au bord de la terrasse dissèquent le paysage : au loin – disent-ils – les Alpilles, le Mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail ; plus près, le Palais des papes, la Tour Philippe le Bel et un bras du Rhône. Sans doute a-t-elle vu tout cela.

Depuis longtemps elle se tient en retrait, sous l’ombrelle d’un pin plié jusqu’à terre par le mistral. Eloignée des regards inquisiteurs, elle observe dans les trouées des branchages, la forêt d’où émergent un clocher ou une tour, le ciel que traverse un cyprès. Le monde se dérobe en mille fragments.

Elle ressent la brûlure du soleil et la fraicheur de l’ombre, le calme apparent du lieu et la violence de l’époque.

Elle a retrouvé ici son vieux fantasme : voir sans être vue. Mais elle n’en sort pas indemne. Elle oscille et vacille à perdre la tête et la raison. Pourtant toute sa vie, elle a cherché l’unité

Josiane : Comme une fratrie dans le jardin de l’abbaye

Le soleil chauffe nos trois dos, une irradiation bienveillante passe par les nuques penchées sur l’écritoire, il effleure les épaules arrondies par le plaisir, en inondant les lombaires détendues et hospitalières, épanouies comme les prés verts de la plaine de l’Abbaye qui s’étend jusqu’au Rhône.
Nous sommes dans ce jardin pour longtemps. L’âne braye, l’ULM sillonne le ciel, les ouvriers montent un mur, mais les bruits sont sourds à nos oreilles, la paix nous habite, elle monte de chaque taillis, des massifs fleuris d’automne, l’autre printemps.
Nous sommes dans ce jardin pour longtemps. Car, même brève, la halte est bienfaitrice dans cet été finissant, un cruel été d’enfermement au monde. Douloureuse cassure où il faut vivre la grande rupture du fil normal de la vie où nous devenons les parents de nos parents. Une fissure dans un temps privé de nous-mêmes que la visite au jardin soigne un peu.
Des couples de promeneurs sillonnent le jardin, plan en mains, nous ne les voyons pas. Résonne en nous le temps, lointain maintenant, où unis comme les cinq doigts de la main nous parcourions les sentiers autour du cabanon en quête de bois sec pour le feu de la soirée. Ces promenades d’automne étaient nos préférées, sans cartes ni plans au risque de se perdre, en espérant se perdre un peu pour regarder la mer au loin et à perte de vue le vert sombre des collines de chênes kermès avec leurs écobuages tranquilles. On se disait à mi-voix notre chance de vivre l’automne et son temps calme, cette parenthèse avant l’hiver, celle où les fumées montent si droites, sans vaciller, dans l’air immobile et tiède encore.
Ce matin, le jardin de l’Abbaye nous console de ce temps révolu, de notre désarroi. Comme en apesanteur, nous vivons intensément ce moment en nous imprégnant de chaque odeur. Celle, subtile, du romarin en fleur qui se mélange à la puissante fragrance miellée des corbeilles d’argent. Quelques pignes « mûres » tombent des pins surchauffés en laissant échapper des pignons et des élytres légers. Je les cueille, je regarde mes mains salies de leur poudre noire, la réalité surgit, la fratrie s’évapore et les visions de l’enfance aussi !Je suis seule dans le jardin de l’abbaye.

Christine, elle, a fusé le plus loin possible de la première terrasse, on l'a vite perdu de vue car elle galope sur un sentier sauvage dont le trajet nous sera toujours mystérieux

Assise en haut de l’escalier qui mène à la chapelle Sainte Cesaria. Des bruits de pas sur le gravillon, le bourdonnement d’une abeille, des frôlements dans le silence. En général, les promeneurs ne s’attardent pas, seulement une courte halte à la chapelle ; certains, sans doute, se laissent émouvoir…
Aligner sa présence. Frôler du bout des ailes l’instant fragile, mais puissant. Faire cesser les tourbillons de mots vains, les illusions, papillon agité de pensées intranquilles.
Au-dessus de l’oliveraie, contempler l’herbe fraîche, le tordu des branches, l’oscillation lente des cimes caressées par la brise. A l’arrière-plan, la futaie phallique d’une rangée de cyprès s’élance vers le ciel immobile. La percée sera lente, la paresse infinie du lézard au soleil indique le chemin : faire un avec les murs, les vitres, les grilles ; traverser l’apparente quiétude, s’ériger en statue, vivante, vibrante, écrivante…
Nous, poètes des instants suspendus, devrons creuser bien loin pour cueillir l’innocence, cadeau d’humanité. Car que sait-on de ces vies minuscules – fourmis, papillons, mélodie des pinsons – et de celle de cet homme-là, surgi debout sur le toit en pente ? Que sait-on des mousses sur ce tronc vermoulu, de la coquille spirale d’un escargot ancien, de ces failles creusées dans les murs de l’histoire ? Que sait-on des pierres en équilibre précaire, des troncs pliés par les hivers violents ? Que sait-on vraiment hors ces moments précieux, l’enchantement d’un rien, d’un presque tout, du fait d’être vivant ?
On oubliera sans doute les événements, les fictions, les chansons qui composent une vie mais pas ces instants subtils qui vibrent au diapason du monde ; pas cet arc en ciel, coloriant un brouillard ou le creux du désert ; pas ces rais de lumière bariolant une clairière, valse de papillons comme couronne d’éther ; pas cette aube sonore, chant du monde qui s’éveille et rappelle à nos cœurs endormis l’importance du cycle, de l’effeuillement, du suspens ; l’infinie variété des possibles ; l’agonie, la mue et les métamorphoses ; la patience, l’observation, l’élan dans le silence des tombes antiques, le chant… Fuerza sagrada, Fuerza de la Vida

Et la poésie, bordel???


la poésie elle est partout sur ce sentier. On la respire à pleins poumons tant cette ville écritoire est une parenthèse bénie, une halte bienfaisante dans nos vies actives bousculées. Ce matin Philippe nous propose de continuer une poésie qui commencerait par ces mots : "Penché sur le Puits....". Le ton est donné par l'extrait d'un de ces poèmes :

Puits que de dire sans fin sans fond
jusqu'à l'épuisement de dire comme de l'eau
mouillée de phrases et de silences

Extrait de "Puits que de dire" de Philippe Berthaut éditions Trames

 

 

Et nos poèmes sur ce thème :

Puits que de faire
Sans fin sans but
Jusqu’à l’épuisement des corps
Comme de la pierre
Taillée de ruissellements
et de larmes.
Puits que de croire
Sans fin sans espoir
Jusqu’à l’épuisement d’aimer
Comme du jasmin
Frappé de rayures
Et de lissages.

Aline

 

Penchée sur le puits, plus rien n’existe
Penchée sur le puits, le vide appelle
Les rires de l’enfance
Le chant des cigales
Le souffle du mistral
Penchée sur le puits, un froid noir remonte
Les cris des mères
Les lumières bleues
L’odeur âcre du désespoir
Penchée sur le puits……….

Josiane

Puits que de dire
L’eau des profondeurs intimes,
Jusqu’aux entrailles de ces terres
Souillées par trop d’absents, violents firmaments
Puits que de dire la Source, l’élan
Hors des mondes apparents
Pourtant la vie coule et s’écoule,
Et jaillit princière des fontaines du printemps

Christine

 

Controverse sur le petit bois de pins

La pinède de la Maguialva

On vise une table libre et aussitôt les victuailles sont sorties des paniers. Rien ne manque, crudités, charcuteries, fromages, fruits et un petit rosé de Provence bien frais. Parfait ce picnic amical à l'ombre dans ce petit bois de pins!! Bref, pas de quoi s'extasier non plus!! Les pinèdes ça me connait! En Corse, dans le Var et même chez moi dans le Gard la comparaison ne tient pas. Et la vue de la Maguialva, qu'on connait toutes les trois grâce à notre séjour "Peindre sur le motif", quelle ampleur, le lointain c'est quelque chose!!(voir la photo).
Son petit bois de pins j'avoue ne pas comprendre ce qu'il vient faire dans cette idée magnifique de ville écritoire.

Voila le texte que ce petit bois de pins m'a inspiré :

Mieux que rien !!
Ce petit bois de pin, c’est déjà mieux que rien même si rien ce n’est pas grand-chose. Pardon !! C’est le rosé du pique-nique !! Mais, c’est vrai, ce bois de pin est tout petit, étroit, au bord de la route et du fracas incessant des autos et même des autobus urbains. Blotti au pied de la colline où domine le Fort Saint André, il sera bien vite à l’ombre, noir.
Il est bien ce petit bois de pins, un peu loin du café dont je rêve après déjeuner mais avec des arbres, des pins… Oui des pins, plantés là par les paysagistes de la ville en veine de méditerranéité. Il faut bien que les végétaux urbains participent à la magie des monuments historiques de cette belle cité. Et puis, un bois de pin, c’est un bon compromis. Pas besoin d’un grand entretien, pas de taille ni d’élagage. Pas de feuilles à ramasser à l’automne. Le rêve des jardiniers. Et dans les aiguilles de pins, rien ne pousse, pas de désherbage, tout bénef pour les espaces verts de la ville !!!
Assise par terre, dans un rayon de soleil sauvé de l’ombre collinaire par la proximité d’un conteneur à poubelle, je lutte contre des fourmis agressives décidées à me dissuader de me mettre en chien de fusil sur ma veste étalée pour une sieste méritée. Je me lève excédée, que vois-je ? Ma veste est constellée de résine. Vive le petit bois de pins !!
Josiane

Aline a le chic pour dire les choses avec plus de rondeur et de gentillesse, mais au fond, elle pense bien comme moi.
Voyez :

Petit, petit bois de pins que ce bois de pins ! Si petit que le terme de « bois » peut sembler inapproprié. On pourrait dire - et cela suffirait - « quelques pins en bordure de la route. »

Se pose bien sûr la question : combien d’arbres faut-il pour que « des pins » constituent un bois ? Je ne sais pas si quelqu’un s’est déjà posé la question. Ce que je sais par contre, c’est que de nombreux physiciens se sont demandé comment définir un « tas de sable », le tas de sable ayant des propriétés mécaniques tout à fait différentes de celles du grain de sable. Ils ont sans doute une réponse… Peut-on assimiler un pin à un grain de sable et par extension, un bois de pins  à un tas de sable ? Encore une question à laquelle je n’ai pas de réponse. Mais un tas de bois, je sais ce que c’est… J’en resterai là pour aujourd’hui !
Aline

Quand à Christine, elle nous en fait une parabole biblique de ce petit bois. La symbolique ça la connait, même dans ce petit bois de pins, elle trouve l'esprit!

On se croyait tranquille, à l’abri des regards. En fait, il grouille de bruits automobiles et de mémoires anciennes, épines des souvenirs. Pins maritimes, Pins parasols d’Oléron. On ramasse les aiguilles qui feront cuire les moules de l’églade. Peu d’ombre, pas de branches basses pour grimper au sommet. Des troncs rugueux où s’écorchent les mains. Pas vraiment une forêt dans laquelle faire semblant de se perdre… Un espace interstice. Une zone de pique-nique pour estivants… un non-lieu…

Pourtant, on l’aimait bien ce joli bois de pins qui bordait le chemin de la côte.

On apprit bien plus tard que la pomme de pin dépassait toutes les autres. Est-ce au fond de cette pomme dont nous parle la bible, ce fruit de connaissance qu’il n’aurait surtout pas fallu manger sans succomber au courroux éternel… Pomme, pomme de pin présente dans toutes les traditions…

La Bouddha porte les siennes sur sa tête en guise de chapeau ; les églises, les temples, les synagogues les multiplient dans ses représentations. Mystère des mystères de l’ésotérisme botanique. Pomme, pomme de pin, te voilà donc au centre de l’humain, en ce lieu fécond où logerait l’âme, dit-on… Troisième œil des mystiques, des sages et des saints. La voici donc la minuscule glande pinéale, celle qui fait honneur aux biologies humaines et animales. Dans le silence des méditations, elle s’ouvre et vibre et offre intuitions, rêveries, imaginaires féconds. Elle alimente de rêves les cerveaux asséchés par l’ennui de la vie.
Christine

 

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