Regards croisés

ou le plaisir de la controverse

Ecriture et tissage

Carte parente : Où mènent les mots ?

Récit lié : Auvergne

Tout part de fils - fil de laine ou fil de mots - et par tissage, par frottement, par association, par rapprochement, une forme apparaît tantôt tissu, tantôt texte.

   

Du rythme, que diable !

Qui colle aux bottes
Plus sûrement que la nuit au jour ?
Qui fait la clique
En martelant le bitume ?
Qui relie terre et ciel
Sans avancer d’un pas ? 

La terre, la pluie et l’arbre. 

Qui fait danser les hommes
En des prières païennes ?
Qui fait chanter le vent
Offrant aux hommes berceuses et Te deum ?
Qui fait trembler les hommes
Au moindre soubresaut ? 

La pluie, l’arbre et la terre.

Aline

   

On est là. Immobiles. Les yeux vont du rouge incarnat au fuchsia, du vermillon au rose pâle. Du mauve au violet. Du pourpre au rouge sang. Ils se fixent parfois sur une couleur que les mots ne savent pas nommer. Et ils repartent sur les blancs, les crèmes, les presque blancs, les presque beiges ou grèges. Les verts tendres, olive, moussus, boisés, printaniers. Les gris bleus, les gris verts et les verts de gris, les gris souris, les gris anthracite, les gris clairs et les gris foncés, les gris de Payne et les sépias sans arriver au noir. On va rarement jusqu’au noir. Le noir des commencements. Le noir des ténèbres. Le noir des trous noirs. Ils remarquent quelques sangs mêlés : brun et beige, camaïeu de bleus, toute couleur entrelacée de fils dorés ou argentés. Et puis les mains n’y tiennent plus. Elles se mêlent à la fête. Pressant la laine tout juste cardée, éprouvant sa souplesse et son élasticité. Sa douceur aussi. Plongeant leurs doigts à l’intérieur d’une pelote de laine mohair si vaporeuse, si chaude. Se râpant la peau au contact des ficelles et filasses, du chanvre aussi. Eprouvant la fragilité de laines à peine torsadées et la solidité des mélanges synthétiques. Effilochant le raphia. Assemblant les couleurs en tressant les fis. Nouant les brins. Quelques nez s’approchent de la matière. Ils se retirent dépités. Il ne leur reste qu’à imaginer l’odeur du suint du mouton, des fleurs de cotonniers écrasés par la chaleur, du chanvre dans le rouissoir, des bains de teinture… On est là. Au travail, déjà. Aline

 

Nous étions nombreuses à vivre cette aventure autour de tissage des mots et des fils. Il y avait notamment notre amie Geneviève qui a accepté de partager avec nous, sur ce site, son adaptation d'un conte traditionnel, La fileuse d'ortie.  Merci Geneviève !

Ce seigneur-là est puissant, impitoyable, cruel.
Cette fille-là est bergère.
Ce seigneur-là chasse avec lévriers et faucon, poussant son cheval jusqu’à épuisement.
Cette fille-là chante, file, tisse, coud.
Il entend son chant.
Elle entend son pas.
                               Chante que tu chanteras
                               Ton temps viendra
            Fille, tu m’épouseras.
            Sire, jamais ça ne se verra.
            Fille je te forcerai.
            Sire, mon bel ami j’attendrai.

Le souverain y voit un jeu. Il lui ordonne de tisser deux étoffes en ortie.
La première pour sa robe de mariée, à elle.
La deuxième pour son linceul à lui.
            Tu ne porteras ta robe de mariée que lorsque je serai couché dans mon linceul.

Il siffle ses chiens, cravache son cheval et s’éloigne dans un rire cynique.
                               File que tu fileras
                               Ton temps viendra.

Elle a pris le chemin.
Elle a vu la Très Vieille.
            Fille quel vent t’amène ?
            Grand-mère c’est d’ortie qu’il s’agit. De mouton il n’en est pas question.
            Fille je sais et je t’aiderai
            Grand-mère, alors avec mon bel ami je me marierai.
Elles sont allées au bout du chemin creux.
Jusqu’au cimetière silencieux.
La fille est repartie, son panier débordant de longues tiges d’ortie.
La Très Vieille l’a suivie, quelques pas ;
                               Tisse que tu tisseras
                               Son temps viendra.

De la filasse trempée, battue, rincée, aplatie, lissée, séchée a coulé un fil soyeux, fin et souple.

Le seigneur revient. Cheval, lévriers, faucon.
Entre les arbres, devant la cabane, il voit une voile magnifique claquant dans le vent.
            Fille, tu m’épouseras.
            Sire, jamais ça ne se verra.
Ce seigneur-là n’est pas habitué à ce que quiconque lui résiste.
La tête haute, il insiste.
                               Couds que tu coudras
                               Ton temps viendra.

La fille a taillé, épinglé, assemblé, ourlé, cousu.
D’abord sa robe de mariée, chatoyante et éclatante sous le soleil d’été.
Puis elle a commencé de travailler pour le seigneur.
Au premier coup de ciseaux, le châtelain s’est couché.
A la première aiguillée le châtelain a tremblé.
Au dernier ourlet, le châtelain n’a plus bougé.

Le lendemain matin, dans le village, deux cortèges se sont croisés.
La fille au bras de son bel ami dans sa robe d’ortie.
Le cercueil du seigneur dans son linceul d’ortie

                              Chante, elle a chanté
                              File, elle a filé
                              Tisse, elle a tissé
                              Couds, elle a cousu.

Geneviève

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Et puis, il y avait Kris dont ce fut le premier tissage, mais qui n'a pas dit son dernier mot ! La preuve par quelques travaux, tout de textes et de textures entremêlés...

Christine - Tissu de mots
Christine - Le tout premier tissage

La souplesse des murs

En hommage à un certain maçon de mes grands amis à partir de la proposition "Tisser les vocabulaires métiers"

Toi, tu construis la Poésie du monde.

Du sol au plafond, de la cave au grenier, patiemment, tu élèves des murs de mots et de silences.  Papier crayon inspiration.

Tu projettes des grammaires et des lignes de force pour que ça tienne debout, longtemps. Aucun secret pour toi sur la notion de fondation.

Toi, le roi du vocabulaire, le rythme est ton allié. En quelque rite nocturne, tu associes la dureté des consonnes au moelleux des voyelles, la souplesse de l’adjectif que tu cimentes au verbe. Et tu terrasses, et tu enduis ton œuvre de maçon de points de suspension, de virgules.

Tu bâtis patiemment des pièces à dire, à lire, à méditer ; au milieu, des couloirs coulent entre les lignes du sens. Une respiration sonore et sensorielle.

En guise de finition, tu ouvres des puits de lumière, des fenêtres sur l’âme, des portes de consolation.

Kris

Découvrir le recueil en Géoformat : Laisse filer les mots

Christine - Tissage scotch, lettres et mots
Christine - "Donnez-moi du vide, j'en ferai du plein. Donnez moi du plein, j'en ferai du vide (le dit de Dame Aline au rythme de la navette 😉

 

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